Les fluctuations jurisprudentielles relatives à la nature de la responsabilité des installateurs d’éléments d’équipement
Civ.3ème, 21 mars 2024, n°22-18.694, Publié au Bulletin
L’année 2024 a été marquée par un revirement jurisprudentiel de taille en matière de droit de la construction : les éléments d’équipement, installés en remplacement ou par adjonction sur existant, qui ne sont pas des ouvrages, ne relèvent plus de la responsabilité décennale, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, quel que soit le degré de gravité des désordres.
En d’autres termes, l’installateur d’élément d’équipement ne pourra plus être couvert par son assureur décennal dès lors que l’élément d’équipement qu’il a installé n’est pas considéré comme un ouvrage.
Ce revirement de jurisprudence, qui s’applique aux instances pendantes devant les juridictions du fond, ne pourra que satisfaire pleinement les assureurs en responsabilité décennale !
Sa portée reste néanmoins limitée aux éléments d’équipement installés sur l’ouvrage existant. Pour les éléments d’équipement d’origine, et donc installés lors de la construction, dissociables ou indissociables, les désordres l’affectant relèvent de la garantie décennale s’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ou portent atteinte à la solidité de celui-ci.
Et s’ils ne rendent pas l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ou qu’ils ne portent atteinte à la solidité de celui-ci, mais qu’ils portent atteinte à la solidité de l’élément d’équipement indissociable, ils peuvent également relever de la responsabilité décennale.
Avant d’aborder les variations d’interprétation faites par la Cour de cassation au cours de ces 15 dernières années, revenons sur quelques notions.
L’élément d’équipement
En l’absence de définition légale, les éléments d’équipement sont usuellement définis comme des produits finis installés sans transformation (pompe à chaleur, chaudière, poêle à bois, insert de cheminée, …).
Ils peuvent être dissociables ou non de l’ouvrage sur lequel ils sont posés.
Ils sont opposés aux éléments constitutifs, qui correspondent à des matières premières que les entrepreneurs transforment sur les chantiers.
Le champ d’application de la garantie décennale
La garantie décennale est une assurance obligatoire, due par le promoteur ou le constructeur au maître d’ouvrage, mais aussi par le vendeur après achèvement d’un ouvrage qu’il a construit ou fait construire à son acquéreur.
Elle couvre, après la réception des travaux et pendant une durée de dix ans, les dommages suivants :
- Ceux qui compromettent la solidité de l’immeuble tel qu’en présence d’un un désordre affectant la structure de l’immeuble et qui impliquerait une reprise du gros œuvre.
- Ceux qui rendent l’immeuble impropre à sa destination soit ceux qui l’affecteraient dans un de ses éléments constitutifs ou éléments d’équipement qui constituerait en lui-même un ouvrage.
Qu’en est-il quand le désordre affecte, non l’ouvrage lui-même, mais un élément d’équipement qui a été installé sur l’ouvrage ?
L’évolution jurisprudentielle en matière d’élément d’équipements et de mise en jeu de la garantie décennale :
A l’origine, la Cour de cassation avait une conception extensive de la mise en jeu de la responsabilité décennale.
Initialement, la Cour de cassation faisait entrer dans le champ de la prise en charge par les assureurs, les travaux neufs pour la réparation de désordres causés aux existants, dans le cas où ces travaux sont à l’origine, même en partie, des désordres en cause et qu’ils sont devenus indivisibles de la partie ancienne de l’immeuble. (Civ. 3ème, 30 mars 1994, n°92-11.996).
En d’autres termes, la Haute Cour a estimé que dès lors que la technique des travaux de bâtiment mise en œuvre par l’entrepreneur avait provoqué des dommages de nature décennale, dont les conséquences ont affecté aussi bien la partie nouvelle de la construction que la partie ancienne, l’assureur en responsabilité décennale avait l’obligation de garantir le paiement de la totalité des travaux de réparation nécessaires à la remise en état de l’ouvrage en son entier.
La Cour a également condamné l’assureur d’un entrepreneur chargé de l’installation d’une cheminée dans une maison à garantir le paiement des travaux de l’entière reconstruction du bâtiment détruit dans un incendie provoqué par les désordres affectant la cheminée (Civ. 1ère, 29 février 2000, n° 97-19.143).
Depuis 2017, la Cour de cassation retenait que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relevaient de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendaient l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (Civ. 3ème, 15 juin 2017, n° 16-19.640 ; Civ. 3ème, 29 juin 2017, n°16-16.637).
La 3ème Chambre civile réserve l’application de la garantie de l’assureur de responsabilité décennale au cas où le désordre affectant un élément d’équipement rend l’ouvrage impropre à sa destination.
Lorsque le dommage affecte un élément d’équipement, il faut apprécier l’impropriété par rapport à l’immeuble dans son ensemble et non par rapport à l’élément d’équipement en lui-même.
Une nouvelle restriction du champ d’application de la garantie décennale par la Cour de cassation survient en 2020 :
Au terme d’un arrêt du 25 juin 2020, la 3ème Chambre civile a confirmé la décision d’une Cour d’appel qui avait retenu que « les dommages causés (…) à l’ouvrage existant ne relevaient de l’obligation d’assurance que si cet ouvrage était totalement incorporé à l’ouvrage neuf et en devenait techniquement indivisible. »
La garantie de l’assureur de responsabilité décennale n’avait pas été retenue pour les désordres affectant l’existant dans un cas d’espèce où la charpente existante n’avait pas totalement incorporé les travaux de modification, qui ne lui étaient pas devenus techniquement indivisibles (Civ. 3ème, 25 juin 2020, n° 19-15.153).
Dans le même sens, la Cour de cassation avait infirmé un arrêt d’appel qui condamnait l’assureur à couvrir les infiltrations apparues dans un immeuble à la suite de la réalisation de travaux de ravalement. Elle a retenu qu’un enduit de façade n’était pas techniquement indivisible de l’ouvrage existant, dans la mesure où il a une véritable fonction d’étanchéité. Il est alors un élément dissociable. (Civ. 3ème, 16 février 2022, n° 20-20.988).
Les installateurs d’équipements n’étant pas toujours assurés au titre de la responsabilité décennale, la Cour de cassation a clarifié sa position en précisant que les désordres affectant un élément d’équipement adjoint à l’existant et rendant l’ouvrage impropre à sa destination, ne relevaient de la responsabilité décennale que lorsqu’ils trouvaient leur siège dans un élément d’équipement destiné à fonctionner.
Très récemment, elle a opté pour une position encore plus stricte quant au champ d’application de la garantie décennale que celle qu’elle avait adoptée depuis 2017 :
Par sa décision attendue du 21 mars 2024, la Haute Cour retient que les inserts, pompes à chaleur et autres éléments d’équipement, qui relevaient auparavant du champ d’application de la garantie décennale lorsqu’ils étaient installés sur un ouvrage existant, sont désormais exclus de cette garantie dans la mesure où ils ne sont pas, eux-mêmes, des ouvrages.
C’est alors la responsabilité de droit commun des installateurs qu’il conviendra d’appliquer (Civ. 3ème, 21 mars 2024, n° 22-18.694).
Ce que l’on peut retenir de l’arrêt de 2024 :
Puisque la protection des installateurs n’avait pas été renforcée par le revirement de 2017 (extension de l’application de la garantie décennale à des éléments d’équipements rendant l’ouvrage impropre à sa destination), la Haute Cour retient désormais que si les éléments d’équipements installés en remplacement ou sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes des ouvrages, ils ne sont pas couverts par la garantie décennale, peu importe le degré de gravité des désordres (notamment, l’impropriété à la destination).
Ils relèvent désormais de la responsabilité contractuelle de droit commun.
Dès lors, plus aucun des désordres affectant des éléments d’équipement qui ne sont pas des ouvrages, qu’ils soient dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, ne relèvent de la garantie légale.
Entrent notamment dans la catégorie des désordres affectant des éléments d’équipement ne constituant pas des ouvrages :
- les non-conformités d’une installation d’insert dans un conduit de cheminée existant, qui n’avait pas donné lieu à réalisation de travaux de maçonnerie ( 3ème, 21 mars 2024, n°22-18.694 ; Civ. 3ème, 6 février 2022, n°00-15.301) ;
- les désordres affectant un climatiseur ( 3ème, 10 décembre 2003, n°02-12.215) et une pompe à chaleur (Civ. 3ème, 4 mai 2016, n°15-15.379) ;
- la fissuration d’une chape de béton coulée dans le sol ( 3ème, 26 novembre 2015, n°14-19.835).
- Ainsi, pour de tels désordres, le maître de l’ouvrage devra agir sur le terrain de la responsabilité contractuelle du locateur d’ouvrage.
L’assurance obligatoire des installateurs sera donc moins souvent susceptible d’être appliquée.
Le Cabinet se tient à votre disposition pour répondre à toutes questions en lien avec une problématique de garantie décennale ou de responsabilité d’un constructeur/installateur.